Zone de contrôle d’Hélène Dormond aux Editions plaisir de lire

Et si cette zone de contrôle, c’était Marianne elle-même qui se l’était aménagée bien autour d’elle et des siens pour éviter qu’elle ne bascule au-delà et ne quitte le droit chemin.

-Au-delà ?

-Oui, l’au-delà, cet inconnu, cet horizon lointain, ce quelque chose d’éthéré, qui nous attire et nous fait peur tout à la fois. 

Eh bien, Marianne, l’héroïne de ce bon roman, n’échappe pas à cette attraction tout humaine. Car, en deçà de sa zone de contrôle bien connue, il y a l’attrait de l’inconnu et tous les risques que cette nébuleuse comporte. Seulement, malgré toutes les précautions que notre héroïne prend pour rester sur le droit chemin – à l’intérieur de sa zone -, y restera-t-elle vraiment ? 

Ma foi. Avec les pérégrinations de sa vie quotidienne compliquée pour ne pas dire excessivement compliquée, on a bien l’impression que malgré que cet inconnu lui fasse peur, elle l’aimante. C’est inéluctable. Un vrai aimant. Pour ne dire pas dire un vrai amant. 

Et donc, est-ce pour contenir cette soif inextinguible d’évasion, de liberté bien planquée, que notre héroïne s’inflige une telle reconversion ? Est-ce le remède ? Choisir un métier pareil pour mieux rester dans cette zone-là ? Oui, parce que vous ne m’enlèverez pas le fait qu’abandonner le métier de fleuriste pour celui d’auxiliaire de police nous laisse perplexes, cois, désemparés, pour ne pas dire franchement désespérés.

Certes, certes, l’explication rationnelle est cette allergie cutanée à une large variété de plantes que Marianne a développée qui la pousse à changer de métier. Mais pourquoi diable choisir une fonction, où elle sera abhorrée plusieurs fois par jour par des automobilistes qui lui aboient au visage quand ils ne lui cracheront pas dessus. N’aurait-elle pas pu choisir une reconversion dans un autre domaine ? Auxiliaire de police ? Admettez que c’est bizarre de s’infliger pareille pénitence ? Lâcher un métier plein de compliments pour en adopter un autre plein de réprimandes. S’entendre crier dessus des paroles aimables après avoir déposé une amende sur le pare-brise d’un deux-roues qui entravait le passage : 

« C’est pas un chien policier qu’il vous faut, à vous, mais un chien d’assistance, à ce stade de la débilité. »

Y a-t-il une énigme ? Pourquoi cet acharnement à se faire autant de mal ? N’a-t-elle pas assez souffert ? 

Aïe ! Notre chère héroïne est mère de deux adolescents charmants avec toutes les réjouissances que cet âge exquis suppose : leur égo démesuré, leur désinvolture et leur excès d’impertinence lui renvoient quotidiennement en pleine figure ses échecs, ses défaites, ses faiblesses … Autre chose ?

À mon arrivée à la maison, Laetitia et Daryl sont assis à la table de la cuisine. Je hausse les sourcils, surprise de cette trêve entre mes enfants. Depuis qu’ils sont entrés dans l’adolescence, leur relation a des allures de vendetta corse. Je me retourne vers mon fils, ce gamin déguisé en homme avec sa voix grave et son mètre quatre-vingt, ce gosse qui croit que ses écarts de conduite feront de lui un adulte.

Je suis à bout. Daryl, tu fais n’importe quoi. Dorénavant, plus de sorties ni de skate park. Tu restes ici et du m’aides à la maison. 

Abuse de ton pouvoir tant que tu peux. Mais c’est pas ton uniforme qui fait de toi Napoléon. T’es que sous-flic, je te rappelle. 

Ou milieu de cette décoction quotidienne sympathique, il y a aussi Charles-Armand comme elle appelle ainsi son père depuis ses douze ans. 

Je n’avais pas osé la moquerie avec Papounet et le sobriquet de Chef, il commandait déjà assez comme ça, alors j’ai essayé son prénom. Étonnamment, il a accepté sans broncher

Charles-Armand, le râleur, qui la réprimande de ce qu’elle est en retard pour son repas. Charles-Armand dont il faut s’occuper, son appartement qu’il faut nettoyer. 

Chargée de mes courses, j’entre dans l’appartement de Charles-Armand. Plongé dans ses mots croisés, comme à son habitude, il lève le nez à mon arrivée. Tu es en retard. Ma montre indique midi douze, je suis en faute. Charles-Armand ne tolère pas le moindre manquement … Je rétorque, agacée. Je passe mon temps à courir ! Charles-Armand lisse sa moustache blanche, taillée à la polonaise, petite raie au milieu et fines pointes horizontales, et braque sur moi son regard bleu électrique. Marianne … ça fait cinq ans. Tu dois tourner la page. Il faut penser à tes enfants, au travail. 

Marianne corvéable à souhait, employée modèle, mère courage, qu’est-ce donc une allégorie du calvaire ? Mais le lecteur ne tiendrait-il pas la clé de l’énigme dans cette phrase de Charles-Armand ? Quelle page la bonne Marianne devrait-elle enfin tourner ? Et si ce geste libérateur la poussait hors de sa zone de contrôle, passant en deçà du check-point Charlie salvateur ?

Une plume racée, pleine d’ironie et d’intelligence, un bon roman qui se lit avec plaisir.

https://www.plaisirdelire.ch

Publié par Laura Maxwell

Laura Maxwell est née à Genève en 1972. Cette idéaliste romantique est auteure, rédactrice indépendante et enseignante de langues étrangères. Autodidacte au parcours et aux goûts éclectiques, elle publie en 2011 La quête Degraal, roman-feuilleton dans le magazine Tout l’Immobilier, puis de 2012 à 2015, aux Editions Encre Fraîche, Boeing Transformateur, Trait d’union et Le banquet d’Emile , nouvelles dans des recueils collectifs. Elle travaille sur des chroniques de mots, « les accroche-mots » des textes ludiques et instructifs inspirés de ses expériences du monde des affaires. Elle porte sur ce monde-là un regard très critique et ironique.

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