Déflagration de Serge Bimpage aux Éditions de l’Aire

Corderey, personnage central de ce roman, est un universitaire à la réputation bien établie. Professeur d’histoire, grand spécialiste de la Suisse, décoré de l’Ordre des Palmes académiques et réputé à l’international pour son ouvrage de référence Une île au milieu de l’Europe, salué par la critique et les milieux intellectuels pour son éclairage sur la démocratie directe.

Une identité comme un vernis protecteur qui lui vaut l’admiration de ses étudiants, des membres du Département d’histoire de l’Université de Genève, y compris celle du concierge. 

Mais qu’arrive-t-il le jour où la rumeur familière des étudiants dans le hall de l’université ne parvient plus jusqu’à lui ? Ce jour où, dans sa loge, le concierge fera mine de ne pas le voir pour éviter de le saluer ? « Sur le banc de la place où il avait échoué, Corderey fut pris du besoin d’aller frapper à la porte de quelque ami mais il réalisa que sa carrière l’avait beaucoup trop occupé pour en cultiver, c’étaient plutôt des collègues donc les derniers à qui se confier. Il regarda autour de lui, hagard, habité du stupide espoir que le clochard se présentât. L’idée était saugrenue, si indigne qu’il se mit à gémir. »

Car sous son vernis, le professeur Corderey est aussi un homme victime de furieuses poussées d’eczéma dans le dos en une zone où il ne parvient pas à se gratter. Il est aussi Julius, marié à Inès, en séparation pour la cinquième fois. Anti-héros misanthrope et solitaire « … replié sur lui-même, détestant les complications autant que les surprises, se calfeutrant dans une neutralité lâche », affublé du déclin de l’âge et, de surcroît, chutant lorsqu’il tente d’honorer sa femme. « Il s’était jeté sur elle et c’était là qu’il avait perdu l’équilibre et s’était luxé l’épaule, mettant un terme redoutablement définitif à toute chance de la reconquérir… Son médecin l’avait rassuré. A son âge, il était parfaitement normal de chuter… on chutait une fois par année … jusqu’à la bonne. » 

Que va devenir ce protagoniste qui ne parvient pas à atteindre la zone qui le démange, comme il ne parvient pas à recoller avec Inès, ni à trouver l’inspiration pour son prochain livre ? Notre professeur à l’égo-démesuré va-t-il résister à cette démangeaison de changer les choses, de trouver une suite à Une île au milieu de l’Europe ?

Et Boum ! Il n’aura pas longtemps à résister, le destin va s’en charger tout seul. 

Car la Suisse, ce pays classé premier au rang de l’indice mondial du bonheur, si tranquille en apparence, si neutre, si propre « … au relief attendrissant, d’une irréprochable proprété, sans la moindre contrariété … » va être bouleversé par un événement majeur, une explosion volcanique ! Alors « … toute couleur avait été comme effacée du paysage, tout n’était que grisaille à perte de vue … »

L’éruption du volcan comme une allégorie du changement, une déflagration de notre personnage principal, recouvre désormais le Petit-Pays de cendres « Les marches de l’escalier, les edelweiss, les gentianes et les rhododendrons étaient recouverts d’une fine poussière, on aurait dit de la neige sale. »

Corderey va se réfugier à Marmotence, son village d’origine, il fuit les eaux qui montent, puisqu’un gigantesque bouchon de lave s’était formé à la sortie du lac de Constance ! Ce bouchon faisait barrage aux eaux de l’Aar et du Rhin. Selon toute probabilité, l’eau risquait de refluer à l’intérieur du pays. 

Cette explosion qui secoue le Petit-Pays forcera-t-elle Corderey à se dépasser, à se débarrasser de cette misanthropie eczémateuse qui lui colle à la peau ? Que va-t-il lui arriver, isolé dans son chalet sous des mètres de neige, forcé de pelleter tous les jours pour dégager le chemin des vivres. Est-il vraiment aussi seul qu’il y parait dans cette galère ? « Alors, il eut le sentiment d’une présence. Ça lui arrivait parfois, sur le bord extérieur de ses lunettes il croyait voir des formes et devait vérifier. De la fumée se dégageait de la cheminée. A nouveau, la silhouette passa devant la fenêtre. »

Le spécialiste de l’histoire de la Suisse pourra-t-il, comme elle, renaître de ses cendres ? 

Ne serait-ce pas aussi cela les leçons d’une catastrophe : l’irruption de l’imprévisible qui le pousserait à se dépasser, à sortir de sa zone de confort, à renaître ? Car, en attendant, « quand il ouvrit les yeux, il vit dans son regard qu’il n’était plus le même homme. »

Un beau roman allégorique dont l’idée du cataclysme relèverait d’une intuition puisqu’il a été écrit avant la crise sanitaire que le monde et la Suisse sont en train de vivre. Une écriture métaphorique, ironique et élégante.

« Ce livre a été écrit durant les trois mois qui ont précédé la pandémie. Trois-moi plus tard, la planète était contaminée. Les citoyens du « Petit-Pays », comme ceux du monde, réalisaient avec angoisse leur soudaine fragilité, quelles que soient leur nationalité, leur condition sociale ou financière. »

BIMPAGE S. Déflagration. Éditions de l’Aire. Vevey, 2020

https://www.tdg.ch/blog-wch/standard/jeanmichel-olivier-angoisse-tremblements/story/17344447

Déflagration

Publié par Laura Maxwell

Laura Maxwell est née à Genève en 1972. Cette idéaliste romantique est auteure, rédactrice indépendante et enseignante de langues étrangères. Autodidacte au parcours et aux goûts éclectiques, elle publie en 2011 La quête Degraal, roman-feuilleton dans le magazine Tout l’Immobilier, puis de 2012 à 2015, aux Editions Encre Fraîche, Boeing Transformateur, Trait d’union et Le banquet d’Emile , nouvelles dans des recueils collectifs. Elle travaille sur des chroniques de mots, « les accroche-mots » des textes ludiques et instructifs inspirés de ses expériences du monde des affaires. Elle porte sur ce monde-là un regard très critique et ironique.

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