En 2010, Zahi Haddad, auteur libano-suisse, ressent le besoin d’abandonner sa vie confortable en Suisse pour se rendre au Liban à la recherche de son enfance et des liens de sa famille exilée, dispersée dans le monde, à la suite de la guerre du Liban.
Ce récit autobiographique est une quête de souvenirs, de parfums et de saveurs d’une enfance libanaise quittée trop tôt en 1977 : notre narrateur était jeune et les impressions, les images de là-bas sont faibles, presque effacées. Alors, il y a comme une urgence d’y revenir, de rencontrer ceux qui peuvent lui raconter la terre de sa naissance, celle de ses parents et de ses grands-parents.
Zahi est né sur ce petit territoire montagneux planté de cèdres et de pins, dominé tour à tour par les Phéniciens, les Romains, les Ottomans, tant convoité, si souvent arraché, dont la plus grande richesse, à l’image de sa cuisine raffinée et parfumée, est ce métissage étourdissant de styles, de langues et de croyances. Vestale de mémoires multiples et vivaces, à l’instar de ses exilés, le Liban serait-il ni Orient ni Occident ? et notre narrateur-héros, Zahi, entre-t-il en résonance avec cette double non-identité ?

Au bonheur de Yaya parle de tout cela comme d’un besoin viscéral de retrouver ce temps heureux et ceux qui l’ont fait. Alors Zahi va parcourir sur plus d’un siècle et demi (de 1870 à 2000) à travers les récits de ses proches, les lumières, les couleurs, les parfums, les saveurs de son pays d’origine. Mais le plus sûr moyen d’y parvenir, de faire remonter à la conscience ces images lointaines, n’est-ce pas en cuisinant les recettes de Yaya ?
« Riche, variée, gaie, magnifique expression de la tradition, (sa) cuisine me ramène immanquablement à ces jours de mon enfance passés dans la montagne libanaise, berceau de mille et une senteurs étourdissantes. Pignons, thym, coriandre, cannelle, menthe, anis sont autant de parfums évocateurs. »
Le lecteur aimerait être convié à la table de Yaya, intégrer ce tableau de l’hospitalité chaleureuse toute orientale qui n’a rien de cliché ! Car « Dans ce sanctuaire, elle oeuvre par amour du goût et pour le plus grand plaisir des convives qu’elle réunit autour de sa table, qui se délectent et se font choyer. (…) Les ingrédients de la fête qu’elle organise commencent, bien sûr, avec le mezzé. Dans une farandole de couleurs et de saveurs, hommos, tabboulé, baba ghanouj, fatayer, sambousik, fattouch, labné, foul et bien d’autres ravissements se bousculent et se complètent. »
On comprend cette récurrence de l’auteur, dont le récit est jalonné de recettes libanaises. C’est aussi le témoignage le plus concret de ce grand amour qu’il porte à Yaya. C’est un récit poignant qui vous tire les larmes parce que l’auteur restitue tout en sincérité les liens privilégiés qu’il a tissés avec elle. Il y a, d’ailleurs, dans cette passion qu’il lui voue quelque chose de la Promesse de l’Aube de Romain Gary.
On referme ce livre avec un sanglot au fond de la gorge en même temps qu’un désir tout remuant de vivre : un sentiment de gratitude vous prend ; c’est ce fil narratif qui semble dire : la vie est si belle et si cruelle.
Lisez, ou relisez au bonheur de Yaya. Livre qui vous remplira d’une joie spirituelle toute culinaire.